La Mort en ce jardin

Il m’est difficile d’analyser avec précision mes intentions dans cette série, parce qu’elles sont plurielles, qu’elles se convoquent sans réelle bienséance au moment du processus photographique et que beaucoup de choses m’échappent encore pour être honnête. Il s’agit d’ailleurs d’une série en cours, qui me demandera du temps pour la réaliser. Parce que je recherche une lumière très particulière dans l’année et que sans voiture, l’aventure devient plus complexe à organiser. De la patience donc.
Aussi vais-je commencer par mon rapport au vivant, qui m’a fasciné dès l’enfance, car pour moi, il est profondément merveilleux. Mais j’ai appris très tôt que le monde du vivant, où le processus de vie et de mort constitue un mécanisme très particulier, et qui marque un biotope en bonne santé ou non, pouvait être brutal, violent. Néanmoins parfaitement nécessaire pour évoluer. J’ai dévoré les livres d’éthologie de Desmond Morris, d’Otto Kœning, La plus belle histoire des animaux, livre collectif, de la biologie évolutive aussi, et vu un nombre incroyable de documentaires animaliers. J’ai donc un léger penchant pour le vivant et sa diversité dirons-nous.
Ce vivant, qui, pour faire simple, pour être préservé de la pression humaine et de l’extinction, trouve désormais refuge dans ce que nous appelons familièrement des zoos. Il est d’ailleurs intéressant de connaître l’histoire de ces zoos, d’abord ménagerie royale et collection privée, ensuite collections animales itinérantes, foraines ou de cirque, puis institutions publiques devenant alors des jardins zoologiques, et depuis peu des parcs de conservation de la vie sauvage, où désormais les animaux peuvent se soustraire à notre regard plutôt que d’être entièrement et continuellement exposés à notre avidité d’exotisme.
Pour avoir effectué beaucoup d’observations animales en étant enfant en milieu naturel, je sais les efforts de patience et de silence qu’il faut pour, parfois, avoir ces offrandes de la Nature. Observer devient vraiment quelque chose de précieux, d’éphémère, et savoir observer une véritable discipline. C’est quelque chose qui se mérite et qui n’est d’ailleurs pas toujours récompensée. C’est ainsi. Faire une image tout autant. Et en faire un récit, une exigence supplémentaire. Un acte cette fois-ci délibéré et littéraire. Une sublimation de la chose vue et éprouvée qui devient narration pour tenter, par une fiction des choses, d’exprimer une vision du monde. Non en faisant un catalogue du vivant, ou bien une collection des animaux vus, cochés, répertoriés, reconnaissables, mais par le sensible exprimer une sourde inquiétude tout autant qu’un émerveillement de gamin.
C’est, paraît-il, ce que font les artistes, comme Luis Buñuel avec La Mort en ce jardin, film mal-aimé réalisé en 1956, et qui prête son titre à ma série. Son Eastmancolor qui vire dans le temps, lui donnant un côté déjà suranné. On y retrouve les thématiques chères au maître hispano-mexicain « avec une tonalité naturaliste où l’on ressent le monde primitif et archaïque sous les mondes sociaux […] ». « Décomposition charnelle, mais aussi d’un état de civilisation, La mort en ce jardin sent la pourriture du monde primitif ». « Ce jardin n’est pas un Jardin d’Éden » – Jean-Luc Lacuve – Ciné-club de Caen – 28 mai 2010, qui a su bien mieux que moi, mettre en mot ce que je percevais confusément en visionnant ce film bien intrigant.