Variations

Lorsque l’âme est agitée, la face humaine redevient un tableau vivant

Guillaume Duchenne de Boulogne

En imitant les expressions faciales déjà artificiellement produites via des électrodes par Duchenne de Boulogne [1], ou bien en suivant scrupuleusement les instructions d’une console de jeu pour la réalisation d’autoportraits, Thierry Egger photographie un double affublé du masque de son propre visage [2]. Et, ce faisant, fond, mallée, assouplit celui-ci jusqu’à ce que ses expressions n’aient plus rien à voir avec ses émois. Il rejoint ainsi le grotesque des émotions exacerbées des sculptures des Têtes de caractère de Franz Xaver Messerschmidt. Alors, loin des autoportraitistes systématiques, mais aussi des selfies, Thierry Egger ne retient finalement dans ces images que les variations quasi musicales de ses humeurs et « construit ainsi des fictions vivantes qui permettent de résister à la norme » [3].

[1] Mécanisme de la physionomie humaine, ou Analyse électrophysiologique de l’expression des passions applicable à la pratique des arts plastiques – 1862
[2] Hans Belting – Faces : Une histoire du visage – 2017
[3] Paul B. Preciado – Un appartement sur Uranus – 2019

JEUX DE MAUX

L’amitié qui nous lie Thierry Egger et moi-même n’est pas seulement née de notre statut de photographes et de nos rencontres à la galerie Vrais Rêves (vous me direz, c’est déjà ça), mais de nombreux échanges intellectuels la plupart teintés d’humour et c’est pour cette raison que je vais traiter cette série dans cet esprit. Le titre de ce texte joue déjà sur les mots et l’homophonie des deux termes si différents doit interpeler les lecteurs. Il y a dans les « visages » de Thierry une variation sur la douleur.

SANS FIL

Aurait pu être un autre titre, rappelant la relation intertextuelle à Guillaume Duchenne de Boulogne et ses cruelles expériences. Thierry, non sans se réclamer de la FILiation avec ce médecin, aurait coupé les fils électriques rattachés par des électrodes à son visage ou les auraient effacés avec photoshop !

CAPITA

En latin « Capita » signifie « têtes » (pluriel de « capitum ») et dans cette série Thierry Egger nous en « fait des têtes » ! Et avec douleur, nous rappelle ce beau titre Éluardien : « CAPITAle de la Douleur » !

SYNECDOQUE

Cette figure de rhétorique signifie : la Partie pour le Tout. Là ça devient sérieux, on approche du sens de cette série : le visage exprimant les douleurs du corps et de l’âme et là Thierry, en sait quelque chose…

APPARITION

C’est le titre d’une œuvre de Gustave Moreau : la tête de Saint Jean-Baptiste apparaît, flottant dans l’air et couronnée de rayons divins, à Salomé qui avait exigé d’Hérode sa décapitation. L’image symbolise la victoire du pouvoir politique sur la religion, laquelle toutefois semble encore vivante mais… décapitée. Ce qu’il faut savoir, c’est que dès l’apparition de la technique photographique, on s’est mis à nommer l’assistant du Bourreau (§ guillotine), LE PHOTOGRAPHE ! Pour quelle raison ? La photographie naissante exploitait principalement le portrait, succédant ainsi à la peinture. Les peintres de quartier se convertissaient vite à la photographie. C’est d’ailleurs pour cela que les photographies du XIXe siècle étaient signées : « Atelier », « Studio » (dans l’acception italienne du terme)…

L’assistant du bourreau tenait les cheveux des suppliciés en avant du couperet et pouvaient ainsi exhiber la tête coupée ! L’histoire ne s’arrête pas là : le premier obturateur mécanique pour appareil photo, a été breveté sous le nom « d’OBTURATEUR À GUILLOTINE » !
Mais GRÈVE DE PLAISANTERIE : THIERRY LA PEINE DE MORT A ÉTÉ ABOLIE IL YA 40 ANS !

Jean-Baptiste Carhaix